« Parlez-moi de moi ». C’est un peu ce que le spectateur vient trouver quand il se rend au cinéma, temple éternel du moi sinon son meilleur reflet. Un sujet dont Cédric Klapisch a fait sien dans son dernier film : Deux moi perdus et isolés au milieu d’une vague d’égos, deux jeunes gens qui peinent à faire des rencontres à l’heure où les applications dédiées sont légions sur l’App Store et autre Google Play Store. Bref, un joyeux bordel qui tourne autour de Rémy et Mélanie, deux paumés dans un Paris 2.0, deux…moi.
Le premier est campé par François Civil : la nouvelle coqueluche du cinéma français, jeune homme éponge capable d’imbiber tous les genres, de la comédie (Five) à la romcom (Mon Inconnue) en passant par le thriller (Le Chant du Loup). Une aisance qui ne passe pas inaperçue dans Deux moi, où sa petite mine paumée répond comme par symétrie à une Ana Girardot toute aussi perdue dans cette société qui ne jure plus que par les réseaux sociaux et les nouvelles technologies.
Un thème forcément évocateur pour le communiquant que je suis, exploré depuis déjà quelques temps Outre-Atlantique à travers des films comme Her ou Men, Woman and Children, mais qui restait encore trop boudé dans l’Hexagone. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il se conjugue avec le cinéma hyper social de Cédric Klapisch, témoin récurrent des relations amoureuses, amicales et familiales à travers des films aussi percutants qu’ils sont devenus cultes.
Là où ce dernier s’émancipe de ses précédents films, c’est à travers une réal nettement moins libérée qu’à son habitude, avec des cadres bien droits et des effets de symétrie comme pour évoquer le caractère ultra-processé de nos modes de vie. Et puis des personnages souvent coincés au centre du cadre, perdus dans des dialogues asynchrones avec un interlocuteur hors-champ. Le tout coincés dans d’étroits intérieurs parisiens où l’on étouffe assez vite. En bref, tout est devenu flouuuuu pour nos deux héros un peu paumés dans ce monde virtuel qui accélère bien trop vite pour eux, à l’heure où les rencontres humaines sont régies par Tinder et autres Happ’n.
Cédric Klapisch, loin de se poser en critique d’une société ultra-connectée, préfère explorer les solutions avec amusement en prenant appui sur un joyeux régiment de seconds rôles : Camille Cottin, François Berléand, Zinedine Soualem, Eye Haïdara, Pierre Niney, Simon Abkarian et consorts viennent ainsi rythmer le récit avec juste ce qu’il faut de truculence et mettre en lumière une sensation que l’on porte tous en nous : cette impression que les gens parviennent tous à accélérer autour de nous et savent tous mieux que nous, sans se douter une seule fois qu’en vérité, nous sommes nettement moins différents qu’on pourrait le penser…
Quand on parle de cinéma social, l’ami Klapisch est définitivement l’homme de la situation. Il était ici encore tout indiqué pour évoquer les maux du 21ème siècle avec la justesse et le recul nécessaire pour non pas critiquer, mais simplement questionner le sujet et procurer des réponses à l’aube d’une nouvelle décennie. Loin d’être indispensable, Deux moi reste un petit film raisonné et chaleureux pour mieux savourer l’automne et nourrir notre réflexion. Et puis, il vous rappellera surtout combien nous sommes (encore) tous pareils, surtout quand on pousse la porte d’un cinéma.