Jamais de premier rôle sans les seconds. Telle est l’idée véhiculée chaque année par le Festival Jean Carmet, dont la 26ème édition s’est achevée 13 octobre dernier. Fidèles à nos habitudes, nous étions là pour couvrir l’évènement avec les copains de Fréquence Ciné, micros cellophanés, mais bien affutés. Un bilan rapide ? De belles découvertes de talents des 2 côtés de la caméra, et un thème récurrent : l’émancipation féminine. Un bilan moins rapide ? C’est en-dessous que ça se passe 🙂
# Slalom
de Charlène Favier
Nous débutons cette sélection Jean Carmet avec un film affublé du label Cannes 2020 – Compétition officielle. Spoiler alert : il ne remportera la palme mais vaut largement le détour, tant pour les thèmes abordés – j’y reviendrai – que pour ceux qui en sont les protagonistes.
Nous voici donc devant un Jérémie Reignier impeccable dans ce rôle très ambigu, froid, impassible, compact. En face, Noée Abita cabotine à mort dans une espèce de fausse nonchalance mais ça lui va bien. Toujours à forte proximité de son premier grand rôle dans Ava, qui l’avait alors révélée aux yeux du grand public sur des thèmes tout aussi proches : l’émancipation féminine, les premiers émois amoureux, la puberté, la découverte de son corps par une adolescente souffrant par moments de l’absence de sa mère.
Celle pour qui la neige n’a aucun secret, c’est Charlène Favier. Elle qui, à l’image de notre héroïne, est passée par une école de ski-études choisit aujourd’hui de passer derrière la caméra, s’arrogeant les services d’un chef opérateur et d’un directeur de la photographie compétents, tant qu’à faire. La technique sert à merveille le film, qui offre des plans tout simplement magnifiques, captant tout le potentiel esthétique que peut procurer la neige, et des séquences de ski, aussi rares soient-elles, extrêmement vibrantes.
On regrettera surtout une fin maladroite, amenée très sèchement, qui casse un peu brusquement le propos au lieu de le soutenir mais n’empêche pas pour autant le film de stimuler les consciences, parfois au prix de scènes très explicites.
Un film à la fois beau et sombre, à l’esthétique impeccable, bien interprété, qui s’inscrit forcément dans la lignée des dénonciations d’abus sexuels qui ont sévi – ou sévissent encore – dans le monde du sport. Essentiel, donc.
Date de sortie : 4 novembre 2020
# Un Triomphe
d’Emmanuel Courcol
L’histoire ne pouvait pas ne pas être adaptée tant elle a fait sourire : Etienne, acteur en galère, accepte pour boucler ses fins de mois d’animer un atelier théâtre en prison. Surpris par les talents de comédien des détenus qu’il encadre, il leur propose de monter avec eux une pièce avec l’ambition de la jouer dans un vrai théâtre.
Sur le papier, une intrigue aux airs de déjà-vus tirant sans se priver sur la corde des bons sentiments. Et c’est tant mieux car c’est réussi : impossible de ne pas s’attendrir devant le combat de ses taulards en quête d’ailleurs ou bien devant la persévérance de ce metteur en scène dont on a forcément envie de soutenir la cause.
Derrière le rôle d’Etienne, on trouve un Kad Merad très juste, extrêmement touchant. A contrepoint des ses rôles comiques habituels et c’est tant mieux. Ici c’est lui qui sert de planche d’appui aux seconds rôles qui l’accompagnent et qui incarnent la véritable puissance comique du film. Ce qu’Emmanuel Courcol a su saisir en lui, c’est son capacité à valoriser son entourage plutôt que lui-même, chose qui n’est pas donné à tous les acteurs, avouons-le.
Le film rabâche pas mal son propos et s’avère extrêmement prévisible mais qu’importe, il reste le feel-good movie idéal pour traverser ensemble cette période morose. Encore un peu de patience, il faudra attendre Noël pour assister…à Un Triomphe.
Date de sortie : 23 décembre 2020
# L’origine du monde
de Laurent Lafitte
Assurément le film le plus fou du week-end, et très certainement le plus fou que vous verrez en salles cette année. Doté d’un casting au poil (Vincent Macaigne, Karin Viard, Hélène Vincent, Nicolas Garcia, impériaux), L’origine du monde passe son temps à nous surprendre avec pour souci permanent de nous faire rire aux éclats.
A aucun moment on ne s’attend à ce qui va se produire sous nos yeux, et c’est tant mieux, car l’effet de surprise escompté est parfaitement réussi. Boosté par une composition de cadre mûrement travaillée (une galerie de plans fixes redoutablement bien habillés), une photographie très identifiée et des dialogues écrits au cordeau. Tout concourt à ce que le spectateur se projette dans un monde parallèle où tout est permis, à commencer par les actes les plus controversés.
Le petit malin qui se cache derrière cette bombe humoristique n’est autre que Laurent Lafitte qui accouche ici de son tout premier film, et quel film… Avec l’Origine du Monde, le sociétaire de la Comédie Française étonne et détonne. Et personne ne l’a vu venir.
Date de sortie : 4 novembre 2020
# A l’Abordage
de Guillaume Brac
A l’Abordage raconte l’histoire de nos vacances à tous. De nos rencontres, de nos coups de cœur, de nos baignades et de nos soirées d’été. En somme : de notre jeunesse. Et remue à cette occasion les souvenirs d’une jeunesse lointaine, enfouie, d’un contexte où notre vie était capable de changer en seulement quelques jours au hasard de nos rencontres. Un feel-good movie par excellence, un film choral où tous les seconds rôles sont finalement des principaux et où chacun porte son histoire propre.
Guillaume Brac, peu connu du grand public mais déjà rodé avec des films comme Tonnerre ou Un Monde sans femmes, a choisi d’adapter l’écriture de son histoire et de ses personnages à partir des comédiens issus du conservatoire d’art dramatique. Permettant ainsi à chacun de mettre un peu de soi dans son personnage avec des jeux très spontanés
Additionné à cela, un tournage très libre où le cinéaste a choisi de laisser libre cours à ses jeunes comédiens dans leur façon de réciter leur texte avec une prise de distance volontaire. Presque comme si on était devant un documentaire, ou bien comme si il avait choisi de poser sa caméra à côté des acteurs en les laissant parler entre eux.
Un film qui respire l’été, les vacances, et se déguste tranquillement comme un verre en terrasse. On aurait tort de s’en priver non ?
Date de sortie : 2021 (sur Arte)
# De l’or pour les chiens
d’Anna Cazenave Cambet
D’une séance à l’autre nous est donné à voir le schéma parfaitement inverse : nous voici à présent devant Esther, une jeune fille simplette, femme-enfant romantique éperdumment obnubilée par le jeune homme qu’elle a rencontré pendant sa saison d’été. Faute d’avoir des parents peu concernés par son cas, Esther décide de traverser la France jusqu’à Paris pour y trouver son amour de vacances. Elle qui n’a jamais appris les conventions, jamais bénéficié de cadre équilibré, et qui en conséquence ne connaît pas ses limites, va se heurter à la triste réalité des fins d’été que l’on a tous connus. La question du harcèlement posée précédemment revient donc à la charge comme par symétrie (mais sur un ton plus tristounet). Il est à ce titre intéressant de comparer les 2 schémas du point de vue féminin et masculin. D’où l’intérêt de diffuser ce genre de film dans un festival comme Jean Carmet.
Techniquement, les choix sont plutôt audacieux : un cadrage très étouffant tout du long. Avant de libérer les valeurs de cadre au moment où la principale intéressée parvient finalement à s’émanciper des emprises dont elle était prisonnière. Là où le film est à la peine, c’est dans son esprit très nombriliste, limite autiste, dans ses interprétations parfois fébriles et dans sa tendance à vouloir récurer un peu trop fort les thèmes déjà usés de l’émancipation féminine jusque dans ses moindres recoins.
Le long-métrage le moins accessible que l’on ait vu durant cette 26ème édition de Jean Carmet, mais qui s’efforce tout de même de mener son sujet jusqu’au bout avec un style bien à lui, porté par une réalisation propre et honnête, toujours en phase avec son propos. Sélectionné dans le cadre de la Semaine de la Critique Cannes 2020, l’oeuvre d’Anna Cazenave Cambet ne touchera pas tous les publics, mais en séduira tout de même certains, à n’en pas douter.
Date de sortie : 25 novembre 2020
Les lauréats de la 26ème édition de Jean Carmet
D’un festival à l’autre…
Au-delà des longs-métrages présentés dans cet article, Jean Carmet met également en lumière les jeunes espoirs à travers une sélection de courts-métrages français. Le court, dont Clermont-Ferrand est le vivier mondial chaque année au mois de février, et que l’on ne manquerait pour rien au monde en bons bougnats que nous sommes ! Passage en revue des piliers régaliens de cet évènement phare du 7ème art…