Un parfum de voyage dans le temps régnait ce mois-ci dans les colonnes ciné de vos journaux, comme si le 7ème art avait fait le choix de se réfugier dans les époques passées comme pour mieux se prémunir du tumulte en présence accentué par les nouvelles technologies.

La Belle Epoque

C’est l’un des postulats portés par La Belle Epoque, chouchou des journaux ce mois-ci tant pour la qualité qu’on lui reconnaît que pour tresser un portrait élogieux de son réalisateur, à l’image de L’Express : « Le scénario est bluffant (…), d’une maîtrise rare dans le cinéma français (…) Nous sommes en présence d’un auteur majeur doublé d’un cinéaste du même métal. ». « Bedos, s’il n’est pas passéiste, a le singulier talent de soulever des questionnements existentiels que les auteurs abordent généralement au crépuscule de leur carrière. » écrit ainsi Christophe Carrière, toujours dans l’Express.

Dans L’Obs, Jérôme Garcin parle d’un film « étourdissant et plein de vertus, aussi drôle qu’émouvant et aussi fort qu’attendrissant. (…) Grâce à La Belle Epoque, (…) le réalisateur de 40 ans a cessé de faire de sa mythomanie une posture. Il en a fait de l’art. Applaudissements. »

Les Inrocks réservent de leur côté un avis plus tranché sur le dernier né de Bedos et y voient je cite une « tentation à peine dissimulée de s’ériger à soi-même une statue » en parlant de son réalisateur. Le film serait un autoportrait mégalomaniaque de son réalisateur à travers le personnage de metteur en scène campé par Guillaume Canet, autant qu’une façon pour Bedos de diriger sa compagne Doria Tillier au nom d’un prétendu fantasme de prostitution. Avant de conclure la critique avec un certain érotisme : « Bedos aime le pouvoir, et notamment sur les femmes, et notamment lorsqu’elles le sucent. ».

J’ai perdu mon corps

Passé ce défouloir gratuit, l’hebdomadaire préfère accorder sa double page à la petite perle française qui va faire parler d’elle aux Oscars 2020, actuellement en salles : J’ai perdu mon corps, de Jérémie Clapin : « l’histoire d’une main qui s’échappe d’un laboratoire et qui fait tout pour retrouver le corps auquel elle appartient, celui de Naoufel, jeune livreur de pizzas dont la vie a basculé le jour où il est tombé amoureux de l’énigmatique Gabrielle. ».

« Un premier long métrage d’animation éblouissant (…) porté par un lyrisme bouleversant. » nous disent Les Inrocks, « L’une des plus belles réussites de l’animation française de ces dernières années. ». L’Express s’aligne et parle d’un bulldozer inclassable prêt à tout emporter sur son passage, et pourquoi pas un Oscar ? Réponse le 10 février 2020…

J’accuse

Un autre film à occuper les colonnes des quotidiens ce mois-ci fut sans surprise J’accuse, de Roman Polanski. Bien moins pour l’œuvre en elle-même que pour la polémique dont son réalisateur fait une nouvelle fois l’objet : une sixième accusation de viol à l’encontre de ce dernier par Valentine Monnier, telle qu’elle le confia au Parisien le 8 novembre dernier. Une accusation qui fait suite à la plainte d’Adèle Haenel contre harcèlement sexuel et attouchements de la part du réalisateur Christophe Ruggia.

« Deux déflagrations en une semaine pour le cinéma français qui se retrouve une nouvelle fois plongé dans l’embarras » et témoigne d’un malaise tangible dans le milieu : Il y a ceux qui plaident pour tourner la page face à ceux qui appellent au boycott de l’artiste. « Le cinéma français retient son souffle » nous dit le Monde.

Libération consacre de son côté 3 pages entières sur le sujet on opérant un parallèle pas con du tout entre le film et l’affaire : « Le film de Polanski, à son corps défendant, représente en définitive la plus éclatante défense de la démarche de la jeune comédienne. ». Et le quotidien de gauche d’opérer l’autopsie de l’affaire à travers un film qui se révèle être une défense paradoxale des prises de parole. Quand la fiction rattrape la réalité…

Pour revenir au film en lui-même, je lis dans Le Monde une interview de Vincent Duclert, historien spécialisé dans l’affaire Dreyfus. Ce dernier nous met en garde contre le traitement effectué par Roman Polanski de ses 2 personnages principaux : « Cette heroïsation du capitaine Picquart (Dujardin) a pour regrettable effet de donner de Dreyfus une image de pure victime. ». Tenez-vous le pour dit, et gardez bien ceci à l’esprit en allant voir le film, si tant est qu’il soit programmé dans votre cinéma.

Car en effet toujours dans le Monde on s’inquiète de la diffusion du film dans l’Hexagone après que la tournée des acteurs dans les médias ait été déprogrammée. Martin Bidou, programmateur au Louxor Paris 10è témoigne de son embarras puis s’interroge : « Est-ce que diffuser le film est répréhensible moralement ? Le programmer ne signifie pas que l’on n’est pas vigilant sur les violences sexuelles. Par ailleurs, J’accuse est une œuvre positive sur l’histoire du pays. ». L’éternel débat entre la portée de l’œuvre et les valeurs contradictoires que porte son auteur. Un casse-tête pour tout un chacun…

Le Mans 66

Voyage dans le temps une fois encore avec « Le Mans 66 » dont Libération vante les mérites le 13 novembre dernier en faisant surtout du gringue à son acteur principal : « Matt Damon, c’est toujours la promesse d’un film spacieux, l’assurance d’une americana pastel et de son héros au charme placide d’homme tranquille, filmé en légère contre-plongée et en faible contrejour dans le vaste horizon, qui profile sa silhouette sur fond de cieux uniformément immenses, couchants et bleus. ». Oui, chez Libé, on aime Matt Damon. Et on souligne aussi la préservation identitaire du film opérée ici par James Mangold à la réal : « Toute relation, tout dialogue (…) et toute expérience cognitive se passe par l’entremise de la bagnole. Ca ne parle, ne bouffe, ne pense, ne jouit, ne s’obsède que de voitures de course. » Voilà qui devrait séduire ceux qui aiment faire vroum-vroum tout comme ceux dont c’est moins la came. J’en suis la preuve vivante.

The Irishman

L’autre préoccupation en ce mois de novembre n’est ni plus ni moins que le dernier film de Martin Scorsese, qui raconte à qui veut l’entendre – et on le comprend – comment il a trouvé porte close au moment de dégager des financements pour son dernier film, et comment Netflix lui a ouvert la sienne.

La raison ? Un procédé de rajeunissement des 3 acteurs principaux qui aurait fait grimper le budget du film à 160 millions d’euros. Une somme difficile à engager pour les boîtes de production, fébriles à l’idée de ne pas réussir à engranger autant de recettes qu’un film Marvel, analysait l’Obs début novembre. « Pendant que les studios hollywoodiens se focalisent sur l’exploitation des licences de super-héros et les énièmes suites de leurs blockbusters, Netflix s’installe dans ce cinéma qu’ils délaissent : celui des réalisateurs indépendants. » peut-on lire dans le Monde.

Derrière cette technologie à plusieurs millions d’euros, une volonté pour le cinéaste légendaire de dresser un tableau du temps qui passe, pour ses héros comme pour lui et Robert De Niro, avec qui il n’aurait manqué pour rien au monde cette occasion de tourner une dernière fois ensemble. A l’arrivée, une madeleine de Proust pour le réalisateur de soixante-dix-sept ans, de l’or béni pour Netflix, trop heureux de pouvoir se payer Scorcese la veille de l’arrivée de l’ogre Disney + sur le marché du streaming vidéo.

Streaming & cinéma

Le streaming, j’en termine, qui transpire comme la nouvelle bataille culturelle du moment, mais questionne surtout la place du cinéma traditionnel derrière les échanges de tirs entre Netflix, Disney + et autres Amazon Prime. Oui, nous assistons à une disruption du marché du cinéma tel qu’on le connaît et à un bouleversement des pratiques de consommation de films… Martin Scorcese, qui contemple le temps qui passe, a choisi de vivre avec le sien. Il nous livre sa conclusion aujourd’hui même sur Netflix avec Irishman, et je ne vais pas me faire prier pour en prendre connaissance !

*Trois films de cette revue de presse figurent dans mon top 2019

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