On ne compte plus les records détenus par Nomadland depuis l’automne 2020 en tant que meilleur film : Golden Globes, Bafta, Oscars… Sans parler du sacre de Chloé Zhao, première femme issue d’une minorité à remporter l’Oscar de la meilleure réalisation. Le portrait splendide d’une Amérique marginale, droit au but et sans artifices.

Si la comparaison avec Into the Wild semble inévitable au début, on comprend très vite les intentions de Nomadland à mesure que Fern (Frances McDormand) trace la route au volant de son van. A la différence du roadtrip de Sean Penn, qui trouvait indirectement dans son intention l’opportunité de dénoncer la société de consommation à mesure que son héros s’abandonnait à la vie sauvage, Nomadland va chercher, non sans une certaine tendresse, à questionner ce mode de vie si singulier. Apologie aucune, non monsieur. Chloé Zhao elle, scrute le réalisme dans chacun de ses plans pour dresser le portrait 100% bio de ces nomades, retraités pour la plupart, en quête d’ailleurs autant que d’eux-mêmes.

Dans un style jamais très loin du documentaire, la jeune cinéaste alterne rencontres chaleureuses et (jolis) moments de solitude habillés par les (tout aussi jolies) partitions au piano de Ludovico Einaudi. L’idée étant bien évidemment d’opposer les 2 facettes d’un mode de vie socialement inconstant. Et encore au-delà : l’idée d’une Amérique de tous les possibles longtemps idéalisée pour ses routes infinies aux multiples destins se substitue au tableau sans filtre d’une population de laissés-pour-compte. Là où d’autres auraient boosté leurs teintes pour mieux scruter l’horizon de ces vastes plaines désertiques, Chloé Zhao choisit de ternir à peine son image pour ramener le spectateur au plus près de ses personnages. L’intention artistique, qui force le mérite, prend d’autant de l’ampleur quand on sait qu’elle est portée par une sino-américaine. Soit le regard d’autrui sur une Amérique qui n’a pas su tenir ses promesses de grandeur pour tous ceux qui l’idéalisaient.

Coiffée de la double casquette actrice/productrice, Frances McDormand semble de son côté vouloir se lover dans ce cinéma social qui lui correspond tant depuis Three Billboards. Pour autant, aussi captivante soit-elle dans ses regards, elle n’est que le relais du spectateur. Celle qui lui permettra d’aller à la rencontre des vraies stars du film : Ses compagnons de jeu se nomment Linda May, Charlene Swankie, Angela Reyes, Bob Wells et Peter Spears. Tous de véritables nomades à qui Fern prête son oreille attentive dans de jolis moments d’échange.

L’échange, oui. C’est bien ce que recherchent ces road-trotters à la recherche d’endroits où ils ne sont pas, comme ils disent. Ne pas se retourner. Tout laisser derrière pour regarder devant. Donner sans recevoir à l’inconnu rencontré, puis laisser le destin vous rassembler de nouveau, pour recevoir en retour. Et cette question très justement posée par le film : l’Homme, être social par nature, est-il capable de s’accomplir seul ? Peut-on réellement s’affranchir des autres ? Voilà qui distingue, une fois encore Nomadland d’Into the Wild.

Que ce soit au travers de ses protagonistes secondaires ou bien du réalisme évident de sa mise en scène, Nomadland frôle le documentaire à de nombreuses reprises, à la faveur d’un récit plutôt touchant. Mais surtout, il grave dans les mémoires le style discret, organique d’une jeune réalisatrice pleine de talent, capable de s’effacer totalement pour laisser place nette à ses héros et leur van. Même si, à la fin des fins, la star du film reste cet horizon lointain baigné par le soleil levant. Récompense quotidienne de ces femmes et hommes ayant eu le courage de tout plaquer pour regarder devant sans jamais se retourner.

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