Elle est l’icône absolue, la fierté de tout un peuple, l’élégance à la française. Et pourtant, il a fallu attendre 2021 pour que soit érigé un long-métrage à sa mesure. Pour mieux comprendre la genèse d’Eiffel, il faut remonter vingt-cinq ans en arrière : prenons un peu de hauteur voulez-vous ?

A l’origine de la silhouette légendaire, une lettre : le A. Comme Adrienne, la jeune femme dont s’est épris Gustave Eiffel en 1860. Et comme l’amour dont Paris est le symbole planétaire. Il était donc assez naturel que la genèse du projet se superpose à la romance entre l’architecte et sa bien-aimée. Voici le pitch de départ qu’adresse Caroline Bongrand à un réalisateur en 1997.

Sur le papier, le projet a tout pour plaire. Sauf qu’à l’image de la construction de l’édifice, tout ne va pas se dérouler comme prévu… Car le premier cinéaste rencontré n’est que le premier d’une longue série d’interlocuteurs parmi lesquels Luc Besson, Jérôme Seydoux, Christophe Barratier et même Ridley Scott ! Avant d’atterrir en 2019 entre les mains du français Martin Bourboulon. Ajoutons à cela la crise sanitaire, vous obtenez le film le plus maudit de l’histoire du 7e art après Dune. Comme si le projet était casse-gueule depuis le départ…

Retour au présent : force est de constater qu’Eiffel, du haut de ses 23 millions de budget, tente des choses intéressantes autour de la construction de la tour en prenant appui sur un pied construit grandeur nature pour les besoins du tournage. Puis les échappe aussitôt au profit d’une histoire d’amour un peu ronflante à la France 3 qui étouffe les ¾ du film. Avec deux acteurs (Romain Duris et Emma Mackey) qui, aussi impliqués soient-ils, n’échappent pas à la confusion qu’entraîne leur différence d’âge à l’écran. Mais surtout, ils volent la vedette à une autre grande dame, dont l’achèvement est bâclé dans le dernier tiers à grand renfort d’ellipses narratives. Là où il aurait fallu traiter le monument comme un véritable personnage.

Rendez-vous manqué

Non pas que la mise en scène soit mauvaise : simplement, sorti de quelques audaces visuelles – un travelling circulaire amené par une partie de chaises musicales, un jeu de fuis-moi je te suis rythmé par une valse, la fixation au degré près du premier étage de l’édifice – Eiffel reste en définitive très académique. Pour autant, il lui manque la grandiloquence suffisante pour se hisser à la hauteur d’un tel monument. Il lui manque des envolées lyriques, des plans aériens, des grandes tirades et des éclairs de génie. Le phénomène atteint même Alexandre Desplat, qui compose une partition bien trop sage à l’aune à son travail habituel.

L’explication se trouve peut-être dans le choix du réalisateur : Martin Bourboulon, un quidam trop peu connu du grand public avec le diptyque Papa ou Maman comme seul fait d’armes. Un résultat pour le moins sympathique mais qui devait surtout son salut aux jeux corrosifs de ses acteurs autant qu’à son écriture plutôt qu’à sa mise en scène platonique. Ici, c’est peu ou prou la même tambouille…

Mais alors, que retiendra-t-on d’Eiffel sinon l’histoire d’amour qui l’anime ? Pour ma part, j’ai choisi de retenir l’admirable persévérance de Caroline Bongrand qui a consacré la moitié de sa vie professionnelle à produire ce film qui manquait tant à la France. Et si le film passe à côté de son sujet avec une œuvre bien plus alignée avec son histoire qu’avec ses ambitions, accordons-lui au moins le mérite d’avoir porté une jolie romance à l’écran.

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